(RE)CONNEXION :
UN PRINCIPE DE BASE DES PSYCHÉDÉLIQUES ?
Traduit par Manon Lorance, édité par Camille Faivre d’Arcier
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Ph.D. Candidate
Christoph Benner has studied bioenergetic dysfunction in depression and is doing his doctoral research at ETH Zürich.
View full profile ››Édité par Lucca Jaeckel & Abigail Calder
Cet article a été proposé à l’uniMIND BLOG POST AWARD 2020
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« CETTE CONNEXION, C’EST VRAIMENT UNE SENSATION AGRÉABLE… CE SENTIMENT DE COHÉSION, NOUS SOMMES TOUS CONNECTÉS LES UNS AUX AUTRES.1 »
– Patient souffrant de dépression, après avoir expérimenté une dose thérapeutique de psilocybine.
Dans le monde frénétique dans lequel nous vivons, nombreux sont les gens qui se sentent de plus en plus perdus et laissés pour compte. Malgré l’omniprésence des réseaux sociaux, les taux d’anxiété et de dépression sont en augmentation depuis des années.2 Contre cette perte de connexion à soi et aux autres, les psychédéliques vivent une renaissance dans la science et la médecine, comme potentiel antidote.3,4 Ils peuvent donner l’opportunité d’identifier les mauvais choix de vie et de tisser de nouveaux liens, plus significatifs, dans nos toiles sociales.5
Comment les substances psychédéliques produisent-elles cet effet ? Je vais démontrer dans les paragraphes suivants que l’un des principes fondamentaux des psychédéliques est la connexion, ou plutôt la reconnexion. Cette reconnexion s’opère sur différents niveaux : biologique, psychologique, sociétal et écologique.
Nous allons faire un petit tour de magie. Prenez une posture confortable et relaxée et faites ce qui suit :
Pensez à votre plat préféré. Imaginez la texture, les différentes saveurs, les couleurs, le parfum. Essayez de vous immerger complètement dans la délicieuse expérience que cette nourriture vous offre.
***
Pas mal non ? Votre cerveau a créé une sorte de réalité virtuelle sans avoir à porter de lunettes spéciales. Cette réalité virtuelle, le plat auquel vous pensiez il y a dix secondes, est générée par des neurones cérébraux se connectant les uns aux autres. Avec cet exemple en tête, voyons maintenant comment le « câblage » des neurones peut nous aider à comprendre la dépression.
La dépression est liée entre autres à une modification de la connectivité neuronale dans les aires cérébrales appartenant à ce que les neurologues appellent le mode par défaut (MPD).6 Ce réseau – comme son nom l’indique – est actif dans notre mode par défaut : lorsque nous rêvassons, pensons à nous-mêmes ou laissons notre pensée errer. Par ailleurs, lorsque nous sommes concentrés sur une tâche qui nécessite de l’attention sur un stimulus externe spécifique, l’activité du MPD est réduite et d’autres régions cérébrales deviennent plus actives. C’est cette fluidité dans la connectivité fonctionnelle qui permet d’avoir un esprit sain.
Chez les patients souffrant de dépression, la fluidité est cependant remplacée par une rigidité. La cognition bascule considérablement vers des schémas de pensée négatifs constants, en particulier à propos de soi-même.7 De même, essayer d’imaginer quelque chose d’agréable – comme son plat préféré – devient fastidieux lorsque la cognition est bloquée dans une telle boucle négative.
Il est fascinant de voir que les psychédéliques sont capables de relâcher la rigidité du MPD et qu’ils permettent aux régions cérébrales de se reconnecter les unes aux autres dans une dynamique plus saine8,9. En fait, les substances psychédéliques semblent augmenter sélectivement la connectivité neuronale au niveau moléculaire.10 Cela signifie qu’ils pourraient être capables de reconnecter des chemins neuronaux qui ont été perdus suite à une longue période de dépression.11 On peut voir comment cet effet sur la connectivité neuronale se traduit en une augmentation du bien-être en regardant…
Dans l’une de ses publications, l’équipe de recherche du Dr. Robin Carhart-Harris définissait schématiquement l’ego comme « une sensation de posséder une identité ou une personnalité immuable ; plus simplement, l’ego est le « sens de soi ».12 Pour chacun d’entre nous, le sens de soi englobe une variété de processus mentaux : le sentiment d’avoir un corps, de se souvenir des expériences passées, de ressentir des émotions ou de planifier l’avenir. Avoir un ego associé à ces processus mentaux n’est généralement pas un problème. Mais des troubles tels que la dépression surviennent lorsque l’ego prend le volant sur l’autoroute de la vie cognitive, faisant un virage vers une cognition négative à chaque occasion. Cette identification fausse et illusoire du sens de soi avec des pensées (négatives) peut être vue comme l’identification de l’image d’un objet comme étant l’objet lui-même. René Magritte l’a joliment illustré avec sa célèbre peinture « La Trahison des Images » :
Figure 1 : La Trahison des Images, de René Magritte, 1929.
Plus simplement : Tout comme il n’y a pas de pipe dans l’image, il n’y a pas de soi ni d’ego dans une pensée.
Carhart-Harris et son équipe vont plus loin en postulant que la fonction du MPD est corrélée à la fonction de l’ego. Il écrit :
« PRÉCISÉMENT, NOUS PROPOSONS QU’IL EXISTE À L’ÉTAT DE REPOS DU MODE PAR DÉFAUT (MPD) UNE CONNECTIVITÉ FONCTIONNELLE ET UNE ACTIVITÉ OSCILLATOIRE SYNCHRONE ET SPONTANÉE DANS LE CORTEX CINGULAIRE POSTÉRIEUR (CCP), EN PARTICULIER DANS LA BANDE DE FRÉQUENCE ALPHA (8-13 HZ), QUI PEUVENT ÊTRE TRAITÉES COMME DES CORRÉLATS NEURONAUX D’INTÉGRITÉ DE L’EGO12 ».
Cela signifie que notre sens du soi est associé à l’activité d’un réseau neuronal fonctionnel (c.-à-d. le MPD), soutenu par des ondes alpha (8-13 Hz) et formant un schéma bien coordonné (activité oscillatoire synchrone). Comme décrit ci-dessus, un cerveau souffrant de dépression est en partie caractérisé par un MPD structurellement trop rigide qui se traduit par la souffrance psychologique que portent ces patients. En d’autres termes, les patients dépressifs souffrent d’un ego trop dominant. Que se passe-t-il alors si les psychédéliques coupent temporairement les liens qui maintiennent l’ego ? Un patient dépressif qui a bénéficié d’une session de psychothérapie assistée par la psilocybine donne la réponse :
« CETTE CONNEXION, C’EST VRAIMENT UNE SENSATION AGRÉABLE… CE SENTIMENT DE COHÉSION, NOUS SOMMES TOUS CONNECTÉS LES UNS AUX AUTRES » (HOMME, 52 ANS)1
Une explication de ce sentiment accru de connexion serait que les psychédéliques semblent mettre le cerveau dans un état d’entropie plus élevée, défini par une augmentation des connexions possibles entre les régions cérébrales. Ils semblent provoquer une dissolution du schéma habituel d’activité du MPD, et par là même de l’ego subjectivement perçu12,13 (cf. Figure 2). Il en résulterait par conséquent un sentiment plus important de connexion avec l’environnement, qu’il s’agisse de personnes (société) ou bien de la nature environnante (écologie).
Figure 2 : Modélisation de la connectivité fonctionnelle à l’état de repos du cortex visuel primaire, comparaison entre placebo et LSD. Le modèle met en valeur l’entropie cérébrale accrue après les psychédéliques.14
La citation de Timothy Leary « turn on, tune in, drop out » (s’ouvrir, s’harmoniser, se détacher) était la célèbre triade de la contre-culture psychédélique des années 1960 qui a amené beaucoup de gens dans l’univers de l’expérience psychédélique. Les récentes recherches ont mis en lumière ce pourquoi cette citation politiquement controversée a pu être aussi attrayante dans le contexte des psychédéliques. En effet, les recherches psychologiques récentes montrent que le LSD change la cognition sociale en augmentant l’ouverture, la confiance, l’empathie, le comportement prosocial, le désir d’être avec les autres et le sentiment de proximité avec autrui.15,16 Il n’est donc pas surprenant que les gens ayant partagé avec les autres cette perception d’eux-mêmes auparavant inconnue et profondément différente aient également engagé des discussions sur l’établissement d’une nouvelle et meilleure société.
Malheureusement, le LSD n’avait été découvert que 30 ans auparavant et les rituels psychédéliques n’étaient pas accompagnés de règles pour en limiter les risques. L’effet libérateur de l’esprit était tellement tentant que beaucoup de gens ont pris des psychédéliques de manière irresponsable, ce qui a amené à la dénonciation politique des substances psychédéliques par le gouvernement de Richard Nixon.17 La suite est bien connue : les recherches scientifiques portant sur les applications médicales des psychédéliques ont été interdites pendant plusieurs décennies.18,19
Il existe maintenant des signes montrant que l’usage des psychédéliques en contexte médical et récréatif commence lentement à être décriminalisé aux États-Unis.20,21 Nous ne devrions pas rater l’occasion de discuter comment implémenter ces outils pour le développement personnel et sociétal dans notre culture avant que la vague de décriminalisation n’arrive en Europe. Ainsi, nous pouvons tenter une éducation sur les risques, qui avait manqué aux générations précédentes, pour l’intégration responsable des psychédéliques dans la société. Et peut-être même que l’introduction en toute sécurité de l’expérience psychédélique dans la société nous permettra de reconnecter avec…
Comment sont reliés les psychédéliques et les préoccupations environnementales ? Certains pensent que les substances psychédéliques pourraient augmenter la connexion à la nature en réduisant les barrières de l’ego, ce qui aboutirait à une inclusion de la nature dans l’image de soi.22 Voici ce qu’un patient partage à propos de cet effet :
« AVANT [L’EXPÉRIENCE PSYCHÉDÉLIQUE] J’AIMAIS LA NATURE, MAINTENANT JE SENS QUE J’EN FAIS PARTIE. AVANT JE LA REGARDAIS COMME UN OBJET, COMME LA TÉLÉ OU UNE PEINTURE. [MAIS] VOUS EN FAITES PARTIE, IL N’Y A PAS DE SÉPARATION OU DE DISTINCTION, C’EST CE QUE VOUS ÊTES. »23
Il y a de plus en plus de preuves montrant que les psychédéliques augmentent la connexion à la nature. Une petite étude concernant des patients souffrant de dépression résistante au traitement trouvait une augmentation du lien avec la nature et une diminution de l’autoritarisme, et ce jusqu’à 12 mois après l’administration de psilocybine.24 De plus, dans une étude en ligne à grande échelle menée sur la population générale, les participants rapportaient que la consommation de psychédéliques augmentait leur identification avec la nature, ce qui se traduisait par un comportement pro-environnemental. De plus, une autre étude a montré que les attitudes et croyances telles que le trait de personnalité « ouverture » et l’orientation politique libérale, étaient positivement associées avec l’ingestion de psychédéliques, bien que l’ampleur de cet effet ne devrait pas être surestimée.26
La relation entre la nature et les psychédéliques est encore matière à débats, il pourrait en effet s’agir d’une relation de causalité ou bien d’une corrélation. Quoi qu’il en soit, les premiers résultats des recherches indiquent qu’en plus des effets positifs sur les individus sains, le contact avec la nature durant le traitement de la dépression pourrait augmenter significativement le taux de succès. Une étude plus approfondie de la relation entre les psychédéliques et la nature peut être trouvée ailleurs.27
Dans le nombre croissant d’études qui ont été réalisées sur les psychédéliques ces deux dernières décennies, la connexion est un thème récurrent. Les psychédéliques favorisent la formation de nouvelles connexions entre les neurones, ce qui se traduit par une connectivité accrue dans certaines régions cérébrales. Ceci pourrait être à la base de l’effet antidépresseur des psychédéliques et éventuellement de leur potentiel thérapeutique en général.
Dans le roman Île d’Aldous Huxley, une société utopique construit ses croyances écologiques sur l’utilisation de champignons psychédéliques. De même, l’utilisation judicieuse et éthique des psychédéliques pourrait aider les gens à se reconnecter à leur environnement social et écologique. Si nous continuons à examiner attentivement et de manière critique les avancées scientifiques et changements de législations en ce qui concerne les psychédéliques, nous nous rapprocherons de la vision de la Fondation MIND : construire un monde plus sain et plus connecté.
Ce billet a été soumis au prix uniMIND blog post award, dans le cadre duquel les membres des groupes uniMIND de toute l’Europe soumettent des essais au MIND Blog. Christoph est membre et coordinateur du groupe uniMIND de Zürich.
Learn more about uniMINDSi vous partagez notre vision et souhaitez soutenir la recherche et l’éducation sur les psychédéliques, nous vous serons reconnaissants peu importe le montant que vous pourrez donner.
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