Dr. Milan Scheidegger, M.D.

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Christoph Benner, M.Sc.

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Edité par Jennifer Them & Lucca Jäckel

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  • 10 minutes
  • septembre 7, 2022
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Christopher Benner : Milan, le thème central de votre travail est la psychothérapie transformatrice. Cela sonne un peu comme “miel doux” ou “boule ronde” – une réitération. Ce que j’entends par là c’est : toute psychothérapie n’est-elle pas transformatrice en soi ? Pourquoi cette accentuation ?Milan Scheidegger : Vous avez raison, le but de toute thérapie psychiatrique est la transformation d’un état de santé inadapté en un état de santé adapté. Toutefois, contrairement aux thérapies de substitution classiques – pensez à l’emploi d’antidépresseurs pour substituer la sérotonine cérébrale chez les patients déprimés – la psychothérapie transformatrice présente une option thérapeutique novatrice et prometteuse. Grâce aux transformations courtes et profondes de la conscience induites par les substances psychédéliques, les patients sont plus susceptibles de changer et de maintenir un état de santé adapté. Alors que la thérapie de substitution vise principalement les symptômes des maladies, la thérapie transformatrice cible les dynamiques causales sous-jacentes à une maladie particulière. La décision clinique quant à choisir laquelle de ces options thérapeutiques convient le mieux à un patient doit se baser sur une évaluation minutieuse des bénéfices/risques.

Votre réponse soulève immédiatement la question de savoir si la thérapie de substitution et la transformation cognitive peuvent être séparées aussi clairement. Par exemple, il est connu que les patients déprimés ont une densité synaptique plus faible dans certaines régions distinctes du cerveau. La kétamine et l’ayahuasca sont toutes deux connues pour augmenter la synaptogenèse. Ces substances seraient donc, en elles-mêmes, thérapeutiques, étant donné qu’à la fois elles substituent la carence neuronale et transforment la conscience, n’est-ce pas ?

En nous penchant sur l’histoire de la recherche psychiatrique, nous voyons de nombreuses transitions entre des modèles biologiques et physiologiques des maladies. Cela reflète la complexité du problème : comprendre l’interface entre l’esprit et le cerveau. Je vois la psychothérapie transformatrice comme une façon holistique de traiter des maladies mentales. La thérapie de substitution représente l’autre côté de la médaille, c’est-à-dire qu’elle décrit une maladie par un processus erroné, essentiellement un processus cérébral local. Je ne pense pas qu’il soit logique de distinguer l’esprit et le cerveau et de les traiter en tant qu’entités séparées, puisqu’ils dépendent l’un de l’autre. Et les psychédéliques sont des outils épistémologiques intéressants pour explorer ces interfaces : La kétamine et l’ayahuasca déclenchent toutes deux des réactions cellulaires qui, à terme, entraînent de profondes altérations de la conscience. La manière dont cela se passe exactement n’est pas encore clairement établie.

Vous avez mentionné la demande holistique derrière la psychothérapie transformatrice. En tant que telle, elle tente de combler le fossé entre les connaissances traditionnelles des tribus indigènes et les sciences naturelles modernes. Par où commencez-vous pour résoudre cette tâche gigantesque ?

L’idée même de réconcilier ces deux visions différentes du monde provient de mes voyages ethnobotaniques à travers l’Amérique du Sud et le Mexique, où j’ai exploré les méthodes traditionnelles indigènes de guérison. En tant que médecin, je suis réellement intéressé par la réduction de la souffrance humaine, et j’ai observé que beaucoup de méthodes d’induction d’états modifiés de conscience présentaient un potentiel thérapeutique prometteur. En étudiant ces états modifiés, nous pouvons explorer d’une part la façon de laquelle la souffrance mentale apparaît, et d’autre part celle par laquelle elle peut être résolue en apprenant à naviguer à travers des états de conscience de façon plus flexible et adaptative – à la fois en tant qu’individus, mais aussi à un niveau collectif…

…Je pense qu’un terme important ici, que vous utilisez aussi dans vos essais, est l’écologie profonde, n’est-ce pas ?

Oui, l’écologie profonde change notre façon de penser les origines des maladies. Les troubles ne peuvent pas être réduits à un simple processus au sein du corps humain ; ils résultent de dynamiques complexes de réseaux inadaptés entre un sujet et son environnement. Tous les processus de cet écosystème jouent un rôle important, des interactions métaboliques au niveau de conscience phénoménale. Les maladies ont lieu quand cet écosystème se déséquilibre.

La pratique clinique bénéficierait grandement à incorporer cette vue intégrative et utiliser complémentairement les composés psychédéliques. Pensez à un patient déprimé, à qui l’on donne de la psilocybine dans un cadre contrôlé et sûr. Ingérer ce médicament approfondirait sa sensibilité aux procédés introspectifs qui seraient inadaptés suite à sa maladie. Cela augmenterait également la probabilité d’un changement adaptatif des attitudes et des comportements.

La pensée écologique profonde fait partie intégrante des cultures archaïques et des visions du monde indigènes, où la sensibilité aux déséquilibres du monde naturel est la clef des traitements efficaces. Mais elle peut aussi devenir une ressource précieuse pour la médecine et la science occidentale contemporaine, afin que leurs objectifs ne se limitent pas seulement à réparer des carences isolées de la biomécanique du corps au moyens de technologies sophistiquées. Donc, je pense que l’usage médicinal des psychédéliques pourrait ouvrir la voie à de nouveaux paradigmes de traitement, car ils augmentent la méta-conscience à un niveau écologique profond.

Je suis entièrement d’accord avec l’idée d’incorporer cette connaissance à des fins médicales. Mais si vous pensez à la question très profonde de l’interaction entre esprit et cerveau, les réponses assez divergentes d’un Curandero péruvien et d’une neuroscientifique suisse posent à nouveau tout un dilemme, ne pensez-vous pas ?

Vous avez probablement raison, à première vue. Les approches dualistes du problème de l’esprit et du cerveau proviennent du célèbre philosophe français René Descartes et ont considérablement influencé la pensée occidentale. Par contraste, le point de vue des tribus indigènes d’Amérique du Sud est complètement différent et enraciné dans des notions animistes ou pan-psychistes du cosmos, où tout est animé. Si nous revenons à l’écologie profonde, l’esprit et la matière n’apparaissent pas comme des entités distinctes, mais font toutes deux parties du même écosystème, il en est ainsi de tout ce qui apparait à ce monde. Ayant ceci à l’esprit, la séparation dualiste semble n’être plus qu’un artefact, une erreur conceptuelle de notre langage, qui dépend du point de vue que l’on adopte pour résoudre ce paradoxe : que quelque chose apparaisse comme esprit ou comme matière dépend largement de notre perspective.

Attribuez-vous un sens véritable et un contenu de connaissance valide aux expériences psychédéliques ? Ce que je veux réitérer, c’est que vous parlez à la fois de la nature imparfaite de l’expérience subjective pour acquérir des contenus de connaissance valides, et de l’interprétation supérieure des tribus indigènes au sujet de questions métaphysiques qui dérivent sûrement en partie d’expériences psychédéliques.

La notion de réalité peut être profondément altérée au cours d’une expérience psychédélique. Notre clarté mentale s’intensifie et peut outrepasser notre capacité à attribuer du sens aux choses, soudainement tout semble significatif. Par conséquent, je doute que les expériences psychédéliques puissent ouvrir des portes à des « vérités absolues », qui resteraient sinon cachées. Elles fournissent plutôt des révélations remarquables sur la structure de notre réalité quotidienne : nous pouvons découvrir comment notre perception de la réalité est guidée par des évaluations et interprétations subjectives.

Dans le cadre de la psychothérapie transformatrice, ce regard nouveau peut aider les patients pris dans des pensées dépressives accompagnées d’un jugement négatif d’eux-mêmes ou de leur environnement. Enlever temporairement ces convictions biaisées et élargir les perspectives du patient pourrait lui être d’un grand secours. Pour reprendre l’objet de votre question : bien que les expériences psychédéliques inspirent certainement des croyances métaphysiques ou psychospirituelles sur la nature du monde, je doute de leur valeur, particulièrement lorsqu’elles deviennent dogmatiques. Je crois cependant en l’importance de l’ouverture d’esprit, caractéristique qui, à coup sûr, peut être favorisée par la prise de substance altérant la conscience.

Penchons-nous sur votre travail en laboratoire : vous l’appelez un effort bio-archéologique avec pour but de visualiser les états mentaux à l’aide d’outils tels que l’IRMf. Les critiques le qualifie de mission impossible, car cet objectif, pour être atteint, demande de franchir trop d’étapes intermédiaires. L’ampleur de l’abstraction est jugée trop élevée. Que répondez-vous à cela ?

Je me vois en tant que bio-archéologue, creusant des trous profonds dans le cerveau pour déchiffrer les signaux que j’y rencontre. Cette tâche a bien évidemment des limites. Par exemple, les signaux cérébraux apparaissent principalement comme des hiéroglyphes qui me sont complètement illisibles. Puis je m’interroge également sur le contenu informationnel véritable des signaux que je semble être en mesure de déchiffrer.

Cela revient à la question de savoir à quel point notre activité mentale peut vraiment être attribuée aux procédés neuronaux. Peut-être que ces signaux se réfèrent à des processus qui ne sont même pas liés à l’expérience subjective. Vous voyez, il y a beaucoup de problèmes que je reconnais. Je ne me laisse pas non plus aller à l’illusion que nous aurons une théorie unifiée de la conscience dans un avenir proche.

Cependant, je vois aussi un problème majeur dans le développement courant des sciences naturelles, qui ont tendance à former des sous-disciplines manquant de dialogue entre elles. La pensée transdisciplinaire peut nous empêcher de tomber dans les pièges de perspectives épistémologiques limitées, telles que la visualisation des processus mentaux par la méthodologie de la neuro-imagerie. Adopter des perspectives et des points de vue différents nous aidera enfin, petit à petit, à comprendre notre cerveau .

Et quel signal aimeriez-vous personnellement déterrer en tant que bio-archéologue ?

Étant donné que je suis très intéressé par la neurobiologie du soi, j’aimerais identifier les processus cérébraux qui sont associés au maintien et la dissolution du sentiment de soi. Cela pourrait nous apporter une compréhension plus profonde des raisons pour lesquelles les psychédéliques ou la méditation ont un impact transformateur. Cela inclut aussi les états de transcendance du soi, dans lesquels on se sent profondément connecté avec ses semblables, son environnement et l’ensemble de l’écosystème.

Dans notre culture, les psychédéliques souffrent encore d’une image négative. Comment serait-il possible d’y intégrer les états modifiés de conscience, peut-être vers une sorte de spiritualité séculaire, comme Thomas Metzinger le propose ?

Avant tout, je crois que l’image négative des psychédéliques dans notre culture est en grande partie due à notre époque, dans laquelle nous avons totalement peur de perdre le contrôle de nos vies sur-planifiées. Comparé aux cultures indigènes, nous manquons d’espaces sûrs et culturellement acceptés pour abandonner notre contrôle conscient et explorer les couches plus profondes de conscience à travers le psychédéliques. Idéalement, ces espaces devraient être libres de toute influence religieuse ou doctrinaire, donc j’insisterais sur l’aspect séculaire que vous avez mentionné. Le sens attribué à ces expériences est avant tout la responsabilité de l’individu. Dans le cadre de ce processus, l’ouverture et la curiosité semblent être plus appropriées que les interprétations idéologiques ou psychospirituelles dépourvues d’esprit critique.

Une expérience psychédélique comprend également la volonté de s’abandonner aux contenus de pensées négatives et aux émotions difficiles qui pourraient survenir au cours d’une telle session. Une attitude d’ouverture et d’acceptation envers l’entièreté du spectre des émotions, plutôt que la suppression des émotions négatives, pourrait augmenter le bien-être au long terme.

Enfin, je crois qu’une utilisation prudente et intelligente du potentiel transformateur des états modifiés de conscience pourrait non seulement améliorer la pratique médicale, mais aussi notre coexistence culturelle en tant qu’êtres humains.

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Quelques publications de Milan
  1. Positive psychology in the investigation of psychedelics and entactogens: A critical review.
  2. Jungaberle H, Thal S, Zeuch A, Rougemont-Bücking A, Heyden von M, Aicher H, Scheidegger M. Neuropharmacology. 2018. doi: 10.1016/j.neuropharm.2018.06.034.
  3. Bewusstseinserweiternde Substanzen als neue Möglichkeiten der Therapie(PDF)
  4. Scheidegger M. Info Neurologie & Psychiatrie, Volume 1, 2018.
  5. Effects of serotonin 2A/1A receptor stimulation on social exclusion processing.
  6. Preller KH, Pokorny T, Hock A, Kraehenmann R, Stämpfli P, Seifritz E, Scheidegger M, Vollenweider FX. Proc Natl Acad Sci U S A. 2016 May 3;113(18):5119-24. doi: 10.1073/pnas.1524187113. Epub 2016 Apr 18.
  7. Ketamine administration reduces amygdalo-hippocampal reactivity to emotional stimulation.
  8. Scheidegger M, Henning A, Walter M, Lehmann M, Kraehenmann R, Boeker H, Seifritz E, Grimm S. Hum Brain Mapp. 2016 May;37(5):1941-52. doi: 10.1002/hbm.23148. Epub 2016 Feb 25.
  9. Effects of ketamine on cognition-emotion interaction in the brain.
  10. Scheidegger M, Henning A, Walter M, Boeker H, Weigand A, Seifritz E, Grimm S. Neuroimage. 2016 Jan 1;124(Pt A):8-15. doi: 10.1016/j.neuroimage.2015.08.070. Epub 2015 Sep 5.

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