Avant-propos : avant de modifier leur traitement antidépresseur, les patients devraient toujours consulter leur médecin généraliste ou leur psychiatre afin de prévenir tout risque de syndrome de sevrage et tout éventuelle rechute des symptômes dépressifs.
La plupart des essais cliniques portant sur les psychédéliques déterminaient la prise d’un traitement antidépresseur comme critère de non-inclusion, ou demandaient à leurs patients de réduire leur posologie avant de quitter leur traitement afin de pouvoir être enrôlés.
Face aux résultats prometteurs obtenus contre la dépression résistante aux traitements classiques en utilisant des psychédéliques,1,2 cet article cherche à faire l’état de l’art des connaissances concernant la question redondante de l’interaction entre antidépresseurs classiques et psychédéliques ainsi que des risques potentiels associés à celle-ci.
Les psychédéliques, au sens pharmacologique strict du terme, sont défini par leur propriété d’agonistes aux récepteurs sérotoninergiques, plus particulièrement aux récepteurs 5-HT2a.3,4 De manière cohérente, la plupart de leur effets subjectifs et biologiques sont abolis par des antagonistes des mêmes récepteurs tels que la Kétansérine.5,6 Les psychédéliques ont montré une sécurité d’usage encourageante lors des diverses études sur le sujet, avec comme effets secondaires notables, des maux des maux de tête d’intensité modérée, des élévations de la pression sanguine et une anxiété aigue, ne nécessitant aucune intervention medicale.2,7,8 Bien que le mécanisme d’action précis et la pharmacocinétique de ces substances ne soit pas totalement élucidés, deux problèmes potentiels ont été reportés concernant leur interactions avec les antidépresseurs : le syndrome sérotoninergique et une alteration des effets subjectifs des psychédéliques.
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Le Syndrome Sérotoninergique :
Le syndrome sérotoninergique est un effet secondaire potentiellement létal qui survient le plus souvent lors de la prise concomitante de deux composés à même d’augmenter la neurotransmission sérotoninergique. Cependant, cette condition peut également survenir lors de la prise d’une unique molécule ayant ces propriétés.9 La sérotonine dérive de son acide aminé précurseur : le L-tryptophane et ses effets sont régulés par un ensemble de boucles de rétrocontrôle métabolique incluant des enzymes comme la monoamine oxydase. La sérotonine agit sur le système nerveux central et périphérique : au niveau central, elle joue un rôle dans l’humeur, l’attention, la vie sociale, le tonus musculaire, la régulation de la température corporelle et la perception consciente de la douleur. Le système sérotoninergique périphérique joue un rôle dans le tonus vasculaire, la nociception (transmission du message douloureux) et l’activité gastrique pour ne citer que quelques-unes de ses implications.10 Les effets de la sérotonine sont médiés par 7 types de récepteurs (numérotés de 5-HT1 a 5-HT7) et aux mois 14 sous-types.3
Le Syndrome sérotoninergique a été reporté dans tous les groupes d’âge et on estime qu’il survient chez 15 pour cent des patients ayant fait une overdose d’antidépresseurs. Cependant, Il est difficile de donner une estimation précise de l’incidence de ce toxidrome qui manque de spécificité et dont le personnel médical est peu au fait. 85 % en ignorent l’existence.11
La sévérité du syndrome sérotoninergique varie de modérée à très sévère et menaçant la vie. Une triade de symptômes a été établie pour l’identifier, comportant : des anomalies neuromusculaires (telles qu’une hypertonicité musculaire et des tremblements), une hyperactivité du système nerveux autonome (conduisant à une augmentation du rythme cardiaque et des diarrhées) et une altération de l’état de conscience (tels que des délires ou de l’agitation ; figure 1 pour plus de détails).9
Figure 1: Spectre des signes cliniques : Les Manifestations du syndrome sérotoninergique vont de moyennement sévères a menaçant la vie. Les flèches verticales indiquent approximativement le moment ou les symptômes apparaissent, bien qu’un même patient présente rarement toutes les caractéristiques du syndrome sérotoninergique. Les signes sévères peuvent masquer d’autres signes cliniques plus discrets. Par exemple, l’hypertonicité musculaire masquant les tremblements et l’hyperreflexie.9
La physiopathologie du syndrome sérotoninergique n’est que partiellement élucidée, mais il semble qu’il survienne lors d’un excès de neurotransmission sérotoninergique au cœur des synapses. Il ne semble pas qu’un récepteur spécifique en soit la cause mais il se pourrait que les récepteurs 5-HT2a jouent un rôle prépondérant dans ce toxidrome. D’autres récepteurs comme les récepteurs 5-HT1a, semblent jouer un rôle lorsque les concentrations de sérotonine atteignent un point ou tous les sous types de récepteurs seraient saturés (voir figure 2).11 D’autres neurotransmetteurs comme la noradrénaline pourraient participer de façon significative dans ce syndrome : par exemple. Une augmentation des concentrations centrales de noradrénaline est corrélée à une sévérité accrue des symptômes.11 La dopamine elle, pourrait jouer un rôle indirect car une augmentation de la neurotransmission Dopaminergique peut enclencher une décharge sérotoninergique.12–14Figure 2: Mécanismes du Syndrome Sérotoninergique: 1) des doses accrues de L-tryptophane vont accroitre de manière proportionnelle les taux de 5-hydroxytryptamine (5-HT ou sérotonine) nouvellement formée . 2) Les amphétamines et substances apparentées augmentent les taux de décharge du pool de réserve sérotoninergique. 3) l’inhibition du métabolisme de la sérotonine par les inhibiteur de la Monoamine oxidase (IMAO) augmentent les concentrations sérotoninergiques présynaptiques. 4) le bloquage du transport de la sérotonine dans le terminal présynaptique par des inhibiteurs de recapture augmentent les concentration de sérotonine au niveau de la synapse. 5) l’agonisme direct des récepteurs sérotoninergiques sont à même de stimuler les récepteurs 5-HT postsynaptiques. 6) Le Lithium accroît le taux de réponses postsynaptiques des récepteurs de la famille 5-HT. Diamant = substance bloquant la recapture de 5-HT ; cercles colorés = 5-HT; étoiles = agonistes 5-HT directs.11
Dans la plupart des pays, (comme c’est le cas en France) prescrire plus d’un médicament sérotoninergique à la fois constitue une contre-indication pour cette raison. Toute substance pouvant accroitre la neurotransmission sérotoninergique peut conduire à cette pathologie. La plupart des cas recensés concernent les Inhibiteurs Sélectif de la Recapture de la Sérotonine (ISRS) ou les inhibiteurs de la monoamine oxydase (IMAO) pris simultanément avec au moins une autre molécule augmentant la neurotransmission sérotoninergique et l’association de molécule de mécanisme d’action différent semble augmenter le risque de survenue du syndrome sérotoninergique.15
Table 1: Substances associées au syndrome sérotoninergique.9
La recherche sur ce syndrome souffre d’un manque de preuves et d’étude concernant l’interaction entre les psychédéliques et les antidépresseurs et il est impossible d’affirmer que leur association augmente significativement le risque de survenue d’un syndrome sérotoninergique. Toutefois les psychédéliques, via leur capacité d’agoniste aux récepteurs 5-HT2A, augmentent la neurotransmission sérotoninergique via ces récepteurs, de ce fait, d’un point de vue de leur pharmacologie fondamentale, il semble probable que les associer aux antidépresseurs sérotoninergiques puisse induire un risque de syndrome sérotoninergique. Il semble donc dangereux d’associer les psychédéliques avec tout type de molécule augmentant la neurotransmission sérotoninergique, en particulier l’ayahuasca, qui contient un inhibiteur de la Monoamine Oxydase.
De plus, il est important de remarquer que les psychédéliques tels que le LSD et la 5-Meo-DMT, sont métabolisés par les CYP2D6,16,17 une enzyme hépatique impliqué dans le métabolisme de nombreuses substances. Parallèlement à cela, Les ISRS sont a la fois substrats et inhibiteurs de cette même enzyme, Ce qui signifie que les CYP2D6 sont moins disponibles pour métaboliser à la fois les psychédéliques mais aussi les antidépresseurs, conduisant a une augmentation des concentrations de dérivés sérotoninergiques plasmatiques, associé avec l’induction de syndromes sérotoninergiques.11
Pour cette raison, il est vivement recommandé de se sevrer des antidépresseurs avec l’aide de son médecin avant de d’entreprendre tout traitement à base de substances psychédéliques ou tout usage de celles-ci. De plus, étant donné que des syndromes sérotoninergiques ont été reportés chez des patients prenant des substances sérotoninergiques 5 semaines après l’arrêt d’un traitement par ISRS,11 il parait raisonnable d’attendre au moins 5 semaines avant d’envisager l’administration d’une substance psychédélique.
Altération des effets perçus lors de l’expérience psychédélique
En plus du risque lié au syndrome sérotoninergique, la perception subjective des effets des psychédéliques pourraient être altérés lors de la prise concomitante d’antidépresseurs, tel que le montre quelques cas cliniques mettant en jeu des ISRS et antidépresseurs tricycliques. Concernant les antidépresseurs tricycliques, cette modulation des effets subjectifs pourrait être due à la sensibilisation des terminaux postsynaptiques et à une augmentation des niveaux de dopamine conduisant à une augmentation de la neurotransmission sérotoninergique.12,13
D’autre part, l’administration d’ISRS et d’inhibiteurs de la MAO semble engendrer une diminution des effets subjectifs des psychédéliques. Concernant les ISRS, cela pourrait être dû au fait que l’usage prolongé de ces molécules engendre une down-régulation des récepteurs 5-HT2A, conduisant à une sensibilité diminuée aux substances affectant ces récepteurs, comme c’est le cas des psychédéliques. En ce qui concerne les IMAO, leur administration chronique a montré qu’ils engendrent une désensibilisation des récepteurs sérotoninergiques, expliquant potentiellement la diminution des effets subjectifs observés dans ces conditions.19,20,21
Le mécanisme d’action sous-tendant la modulation de l’expérience subjective avec les psychédéliques n’est pour le moment pas élucidé et il est nécessaire de réaliser plus d’étude sur le sujet pour éclaircir cette question. De plus, le risque de syndrome sérotoninergique ne devrait pas être ignoré sous prétexte d’effets subjectifs moindres : il se pourrait que le rapport entre le nombre de récepteurs occupés par un agoniste sur le nombre total de récepteur joue un rôle dans la physiopathologie de ce syndrome. En effet ce rapport étant facilement augmenté lorsque le nombre de récepteurs 5-HT2A est réduit, comme c’est le cas avec la down régulation après un usage chronique d’ISRS. De plus, des variations inter-individuelles, telles que la présence de différents isoformes pour les enzymes se chargeant du métabolisme de ces substances, pourrait jouer un rôle important dans la survenue du syndrome sérotoninergique.22
Quelques idées pour conclure
En l’état des connaissances actuelles, il est impossible de déterminer la relation qui existe entre l’occurrence du syndrome sérotoninergique et la pharmacologie des psychédéliques. Les données qui sont à disposition à ce jour ne permettent pas d’évaluer les risques potentiels de façon précise ou d’établir un modèle de la modulation des effets subjectifs qui découle de l’association de médicaments antidépresseurs avec des substances psychédéliques.
Depuis la découverte du syndrome sérotoninergique, peu de progrès a pu être réalisé pour comprendre la physiopathologie de ce toxidrome. Cependant, la recherche actuelle sur les psychédéliques et leur mécanisme d’action pourraient aider à développer des connaissances permettant de donner de meilleures recommandations dans le cadre d’un futur usage clinique avec ce type de substances.
Un regard attentif sur les antidépresseurs classiques et les psychédéliques et la façon dont ils modulent la neurotransmission sérotoninergique laissent entrevoir des risques liés à leur usage simultané, et une potentielle synergie lors d’un usage simultané semble improbable, d’un point de vue du mécanisme d’action pharmacologique de ces substances. Pour ces raisons, une grande prudence est recommandée aux personnes envisageant d’utiliser une substance psychédélique alors qu’un traitement antidépresseur est en cours.